Journal d’un intrapreneur, partie 2 : l’observation utilisateurs

Stéphane
5 min readAug 2, 2018

(Suite du Journal d’un intrapreneur, partie 1)

Tapi dans les fourrés comme Malinowski chez les Trobriandais, le startupeur observe ses utilisateurs se reproduire dans leur écosystème naturel. Enfin…il aimerait bien qu’ils se reproduisent un peu plus vite parce que ça lui économiserait du budget google adWords.

Bronislaw Malinowski testant une app ralentissant la chute de cheveux

Au départ, le startupeur naïf se lance sur une idée, donc sur une solution, donc des coûts upfront, donc sur des déconvenues. Dans une grosse boîte, quand une équipe projet livre un camion tout-terrain alors qu’on avait besoin d’une trottinette pour aller chercher son pain (et que, de toute manière, le gars qui avait besoin de pain a déjà quitté l’entreprise), on vire le chef de projet, on propose un module de formation “sponsoriser un projet sans ta mère” aux utilisateurs, puis on passe tout ça en Pertes & Profits en essayant de se dire qu’on fera mieux la prochaine fois.

Pour le startupeur famélique auto-financé, ce n’est plus la même chanson. Parce que le marché, c’est aujourd’hui des milliards d’individus différents et ce n’est pas avec ses 50 potes facebook qui viennent, pour l’essentiel, du même milieu social, qu’il peut espérer avoir une vision complète des problèmes qu’il cherche à résoudre. Comme ce startupeur qui mourra enseveli par des métriques de conversion déprimants, nous avons, nous aussi, pris quelques claques de la part de la main invisible du marché.

Alors que faire ? OBSERVER ses utilisateurs. En les influençant le moins possible, d’où la référence à l’éthnologie. Ou façon Fenêtre sur cour, en pyjama avec des jumelles.

Jimmy, surpris par Grace en pleine observation d’une influenceuse instagram

Voici 10 tuyaux parce que les top 10 il n’y a plus que ça qui marche sur internet (et si j’osais je dirais : le 7ème est dingue…ça y est je suis mûr pour blogger sur topito)

  • Oubliez votre solution : l’objectif n’est à ce stade pas de trouver la meilleure solution à votre problème, mais d’identifier le problème le plus pénible pour le plus grand nombre de gens.
  • Immergez vous dans l’écosystème de vos utilisateurs : Quand tu as 6 mois, un bon réseau et que tu n’es pas en train d’essayer de résoudre les problèmes d’érection chez les hommes de plus de 50 ans (j’aurais bien dit 40 ans mais c’est beaucoup moins drôle depuis que je les ai eu)…c’est l’idéal. Le principe de l’immersion, c’est de capter l’ensemble des interactions entre un acteur et un environnement (humain, objet, informatique) sur la durée. La rationalité des process qui semblaient stupides ou inefficaces apparait au grand jour. Les humains ont toujours leurs raisons d’agir d’une certaine manière, souvent nées d’une longue adaptation aux contraintes. Contraintes devenues habitudes au fil du temps. L’innovation, c’est une manière de challenger les habitudes quand les contraintes n’existent plus.
  • Questionnez de manière ouverte : A défaut d’immersion, le questionnaire a le mérite d’être facile à mettre en place et donne un fil conducteur à l’entretien. Attention au piège des questions dans lesquelles on suggère la solution (“Que penserais-tu d’un site qui te permettrait de faire ça ?”) ou les questions qui appellent toujours une seule réponse (“As-tu des problèmes d’erection ? BEN NON BIEN SUR JAMAIS HAHA”). Dans la même veine, évitez les sondages qui sont certes faciles à mettre en place mais le plus clair du temps fermés, incomplets, ne provoquant pas de réelle réflexion côté sondé et vous privant du language corporel.
  • Privilégiez la description du comportement passé plutôt que les intentions : On aimerait tous lire “A la recherche du temps perdu” mais on ne lit plus. ou alors du Marc Levy. S’il y a un enseignement que nous a apporté la datascience ces dernières années, c’est que les traces sont de bien meilleurs prédicteurs que les déclarations [Lire “A quoi rêvent les algorithmes” de Dominique Cardon]
  • Testez avec des amis mais très vite élargissez à d’autres couches sociales : incluant d’autres genres, nationalités, niveaux de revenus, localisations géographiques (Paris vs Banlieue vs Province). La liste est non-exhaustive et dépend bien entendu des utilisateurs que vous visez. A vous néanmoins de faire l’exercice “d’ouvrir grand” dans le cadre de votre activité pour aller trouver des utilisateurs au delà des cercles évidents. Rappelez-vous, dans le business plan vous montriez bien des millions d’utilisateurs potentiels à vos investisseurs…vous allez bien pouvoir en trouver 25 à interviewer.
  • Lors de l’entretien, reformulez les déclarations qui vous semblent importantes. Vous pouvez aussi “déséquilibrer” un peu la personne en déformant volontairement ses propos ou en la faisant se projeter dans un autre contexte, juste pour tester la réaction.
  • Chaque membre de l’équipe doit y passer : pour plusieurs raisons 1/c’est un exercice très riche 2/ça diminue le risque de biais 3/ça facilitera les discussions lorsqu’il faudra établir les personas.
  • Prenez des notes efficacement et élaborez un système d’archivage : L’important n’est pas de tout écrire (sinon autant enregistrer mais bonjour le post-traitement) mais de noter les fulgurances (“insights”) & verbatim. Puis de les partager avec l’équipe et de tout bien ranger dans un espace mutualisé pour pouvoir s’y référer plus tard.
  • Interviewez aussi des non-utilisateurs : Certains des plus riches enseignements viendront de cette population.
  • Faites de l’observation jusqu’aux rendements décroissants : à ce moment là vous pouvez établir les Personas, ou, si vous voulez, les archétypes d’utilisateurs pour qui vous allez travailler. Il y a littéralement des dizaines de templates sur Internet, je vous en fais donc grâce. Idéalement entre 3 et 5 archétypes différents pour éviter de pêcher par excès de simplicité ou de partir dans tous les sens. Donnez leur un prénom pour vous venger d’un collègue pénible parce que votre startup ayant 99% de chances de se planter, il vous restera au moins le persona de “Greg, le quadragénaire indifférent à ses problèmes d’érection” en souvenir.

Et maintenant, jeunes fous,…c’est parti pour développer votre produit !

Vous pouvez suivre le reste de l’aventure sur Twitter, ou sur Journal d’un intrapreneur, partie 3 : vous n’avez jamais travaillé en équipe.

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